« Internet, un espace public comme les autres? » Retour sur le café-débat au Taille Crayon
Les cafés-débats sont des rendez-vous organisés par le Conseil de développement (CdD) pour débattre avec les habitants de l’évolution des espaces publics et de leurs expériences au fil de temps (passé, présent, futur), dans un cadre convivial autour d’un café.
Ce premier café-débat « Internet, un espace public comme les autres », organisé le 24 avril dernier au bar le Taille Crayon, visait à aborder les changements profonds dans nos modes de vie actuels et futurs, en particulier l’usage désormais prépondérant du numérique et discuter de la manière dont cela nous impactait :
- Quel impact internet et les réseaux sociaux jouent-ils dans nos vies quotidiennes et sur l’avenir de nos usages dans l’espace public ?
- Remettent-ils en cause nos interactions sociales sur l’espace public ? Nous détournent-ils des espaces publics physiques ?
Yves Marry, Délégué général de l’association « Lève les yeux » et Anne-Laure Meriau, Urbaniste, Trésorière du Conseil des urbanistes, sur les enjeux urbains / usages et aménagement de l’espace public étaient les invités intervenants pour contribuer à ce débat.
Pour commencer : Quelques définitions
Pour ce débat, les participants ont abordé le sujet de l’espace public de plusieurs façons, comme espace physique mais également comme espace de débat politique.. Pour préciser les choses :
L’espace public au singulier, on évoque généralement le lieu du débat politique et de la confrontation des opinions privées. C’est l’espace ouvert, médiatique mais aussi numérique, où s’opère une pratique démocratique et une circulation des divers points de vue.
Les espaces publics, au pluriel, désignent quant à eux les endroits physiques accessibles au public, arpentés par les habitants, qu’ils résident ou non à proximité. Ce sont des rues, des places, des parvis, des boulevards, des jardins et des parcs, des plages, des sentiers forestiers, campagnards ou montagneux. Ils constituent le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité d’une part et de la gratuité d’autre part
Est-ce que l’espace numérique est un espace public inclusif ?
Si on s’appuie sur l’objectif du départ, oui ! D’après les participants, Internet peut être considéré comme un espace public inclusif, voué à faciliter les échanges et le débat public en permettant un accès illimité à la communication et à l’information à toutes et tous. Cela a notamment permis à des collectifs de se constituer, ou encore d’échanger avec des personnes qu’on n’a pas vues depuis dix ans, de se géolocaliser n’importe où.
Néanmoins, les limites de cette utopie ont vite été soulevées. Plusieurs participants partagent leur déception d’internet, qu’ils jugent être un espace public très dangereux. Des fausses informations peuvent être diffusées, il est difficile de vérifier les sources. Certains déplorent le manque de gardes fous dans la circulation et le tri des informations, soulevant ainsi le risque de mésinformation ou de manipulation de personnes qui n’auraient pas suffisamment développé leur esprit critique pour s’y préparer.
D’autres soulèvent les risques de violence liés à l’utilisation des réseaux sociaux dès le plus jeune âge : « la posture change avec l’anonymat : certains osent dire plus de choses qu’en face de la personne. Sur une place, il est possible de lever la main, mais personne n’écoutera. Sur internet, il est plus facile d’interpeller directement les personnes ».
Yves Marry, de l’association Lève les yeux, constate d’ailleurs une très nette explosion du cyber harcèlement chez les plus jeunes et le développement de la haine en ligne : « Ce sont des phénomènes massifs : ils ont toujours existé mais ont été décuplés avec internet et l’anonymat. Internet est une fracture humaine : il bouleverse nos vies, efface nos identités et ouvre des champs possibles ».
La bonne tenue du débat public nécessite une captation de l’attention, or les limites pour y parvenir sont sans cesse repoussées sur internet et les réseaux sociaux..
Internet nous détourne-t-il des espaces publics physiques ?
Effectivement, les internautes regorgent d’ingéniosité pour capter notre attention sur les réseaux sociaux, mais qu’en est-il de cette attention quand on est à l’extérieur, sur l’espace public ?
Certains estiment qu’internet contribue à générer de l’individualisme et un repli sur soi. Un participant soulève qu’en ville les personnes aspirent de plus en plus à être tranquilles et à ne pas être importunées.
« Néanmoins, une des fonctions des espaces publics et bien de permettre aux gens de se rencontrer. D’après Anne-Laure Mériau, urbaniste, les espaces publics sont une colonne vertébrale entre la vie collective et la vie privée ». C’est d’ailleurs le rôle des urbanistes de s’interroger sur « comment faire en sorte que les gens se rencontrent dans l’espace public ». « Il ne s’agit pas seulement d’aménager des espaces publics mais de considérer la société, leurs usages et leurs comportements ».
Un participant évoque même le besoin « d’obliger les personnes à se rencontrer »..
L’enjeu réside dans le fait de recréer du lien humain, trop souvent perdu avec la dématérialisation excessive pendant la Covid par exemple.
Selon Anne-Laure Meriau, les espaces publics dépendent de notre perception : si nous le voyons comme un espace de rencontre, il faut peut-être le susciter par un regard, un sujet. Les aménageurs ont un rôle à jouer pour prévoir des espaces agréables et propices mais il en va également de la responsabilité de chacun lorsqu’il inter agit sur l’espace public. Encore faudrait-il se forcer à ne pas regarder son téléphone et à initier le contact.. Certaines collectivités proposent d’ailleurs des zones sans 4G dans l’espace public.
Commencer recréer des espaces publics qui une fonction d’apaisement et de vivre ensemble dans nos vies ? Comment encourager les gens à sortir de chez eux ?
Des participants expliquent ne pas fréquenter davantage les espaces publics à proximité de leur domicile, car ils n’y pensent pas sauf en cas de raison précise d’y aller. Ces mêmes espaces publics sont pourtant fréquentés, notamment par les enfants lors de la sortie des écoles et par les promeneurs avec leurs chiens (qui viennent alors que cela est interdit).
Anne-Laure Meriau, estime que les aménageurs-urbanistes ont encore du travail à faire pour mieux hiérarchiser les besoins et proposer des espaces publics adaptés : entre des espaces fonctionnels, qui servent à se déplacer et des espaces agréable et apaisés, lieux de rencontres. Selon elle, « tout est vitesse et bruit, très peu d’espaces bénéficient de la quiétude ». Elle illustre par des exemples inspirants de ce qui se fait ailleurs.
En Suisse, des jeux pour les adultes sont disposés dans l’espace public, alors qu’en France les aires de jeux sont réservées aux enfants. En France, les aires de jeux aménagées sont réservées aux enfants. À New York, des tables pour les dames ou échecs sont mis à disposition dans les parcs et permettent à chacun de jouer avec des proches ou des inconnus. À Lyon, seul le skate-park génère du vivre ensemble or d’autres usages pourraient être rendus plus accessibles pour tous.. Les terrains de boules par exemple sur les places sont propices aux rencontres.
Après ce débat, les citoyens ont partagé leurs impressions et poursuivi les échanges autour d’un pot convivial.
A suivre !
Ce café-débat était le premier d’une série imaginé par les membres du CdD sur l’espace public. Le suivant, organisé au 27 Madeleine abordera le thème : « Les espaces publics, c’était mieux avant ».
Une Assemblée citoyenne spéciale « espace publics » aura lieu le 6 octobre prochain (plus d’infos à venir prochainement).
Une restitution de la démarche globale du Conseil de développement sur les espaces publics sera partagée d’ici décembre lors d’une Assemblée citoyenne de clôture, en présence des élus de la Métropole.
Consultez régulièrement le site du CdD et la plateforme JeParticipe de la Métropole de Lyon pour rester informés sur les prochains évènements de participation citoyenne.
Cliquez sur le bouton ci-dessous pour plus d’infos sur le groupe de travail du CdD travaillant sur les espaces publics :